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La clause résolutoire en passing de retour pour les bailleurs ?

Le 29 novembre 2020
le locataire qui ne respecte pas l'échéancier de paiement fixé par l'ordonnance lui ayant accordé des délais de paiement peut se prévaloir de la résolution du bail par effet de l'acquisition de la clause résolutoire et restituer les locaux loués

Arrêt cour de la Cassation du 22 octobre 2020 n° 19-19.542

Rappel du mécanisme de la clause résolutoire 

La clause résolutoire insérée dans un bail commercial, le plus généralement au seul bénéfice du bailleur, permet à celui-ci d’obtenir la résolution de plein droit du bail à défaut, pour le preneur, de payer les sommes dues en exécution du bail ou d’exécuter telle ou telle obligation contractuelle, dans le mois de la délivrance, par le bailleur, d’un  commandement de payer ou de faire visant la clause résolutoire.

Commandement de payer, de justifier de l’assurance des locaux loués, de cesser une activité non autorisée, ou de réaliser tel travaux d’entretien, les exemples sont nombreux, même si, à l’évidence, les commandements visant la clause résolutoire sont le plus souvent délivrés en raison d’un arriéré de loyers et charges.

Le délai d’un mois expiré, si le preneur n’a pas réglé les sommes visées par le commandement de payer, le bailleur peut faire constater la résolution de plein droit du bail et obtenir l’autorisation consécutive d’expulser son locataire par simple ordonnance de référé

Le bailleur peut ainsi saisir le juge des référés afin de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner l’expulsion du preneur et fixer une indemnité d’occupation jusqu’à libération des lieux loués.

Le juge qui condamne le preneur au paiement de l’arriéré et constate le défaut de paiement de l’arriéré dans le mois du commandement, peut néanmoins suspendre les effets de la clause résolutoire, en accordant des délais de paiement au preneur 

Dans ce cas, tout en constatant l’acquisition de la clause résolutoire, le juge en suspend les effets, permettant ainsi au preneur d’échapper à la résolution du bail en respectant scrupuleusement les échéances fixées par le juge, en même temps que les loyers courants jusqu’au paiement de la dernière échéance.

Un moyen de contraindre le locataire à payer pour ne pas perdre son bail 

Le plus généralement, les locataires s’efforcent d’échapper à la perte de leur bail  en respectant les termes de l’ordonnance rendue ou en obtenant du bailleur qu’il renonce à poursuivre leur expulsion lorsque, bien que n’ayant pas exactement respecté l’échéancier fixé, ils ont fait preuve de leur bonne foi en reprenant le paiement des loyers courants et en réduisant sensiblement leur arriéré.

De fait, il n’est pas rare que les bailleurs acceptent de ne pas se prévaloir du premier manquement de leur locataire postérieurement à la signification de l’ordonnance rendue.

D’autant qu’il a été jugé que le bailleur qui n’a pas poursuivi l’exécution forcée de l’ordonnance dès la première échéance manquée, peut parfaitement  poursuivre l’expulsion, quelques mois, voir quelques années après la signification de l’ordonnance, à l’occasion d’une nouvelle dégradation de la situation.

Et si la crainte s'inversait ?

Selon l'arrêt commenté, le preneur peut se prévaloir de la résolution du bail par effet de l’ordonnance rendue sur l’initiative du bailleur pour se libérer du bail dès lors que l'ordonnance est devenue définitive et qu'il n'a pas respecté l'échéancier.

En l’espèce, le bailleur était bénéficiaire d’une ordonnance rendue en date du 27 novembre 2015 qui avait condamné le preneur à payer, par provision, le montant de son arriéré au bailleur, suspendu les effets de la clause résolutoire et accordé des délais de paiement avec déchéance du terme, à défaut de paiement d’une seule échéance.

L’ordonnance avait été signifiée par le bailleur le 11 décembre 2015, sans appel du preneur.

Un mois plus tard, le bailleur, constatant le non paiement de la première échéance, avait mis en demeure son locataire de payer l’intégralité de l’arriéré retenu à titre provisionnel par l’ordonnance rendue, sans pour autant poursuivre son exécution forcée.

A réception de la mise en demeure, le locataire a alors pris acte de la résiliation définitive du bail par effet du non respect de l’échéancier fixé par l’ordonnance et informé le bailleur de son intention de rendre les clés début mars 2016.

En réponse, le bailleur l'a aussitôt informé de ce qu’il avait renoncé à se prévaloir de l’acquisition de la clause résolutoire née du non respect de l’échéancier fixé par l’ordonnance, avant de l’assigner en exécution forcée du bail et subsidiairement en paiement des loyers jusqu’à la date de la seconde échéance triennale

Le bailleur estimait en effet, qu’ayant renoncé au bénéfice de l’ordonnance rendue, le bail ne pouvait être considéré comme résolu par le preneur, qui, ne pouvant se prévaloir de la résolution du bail, ne pouvait rendre les clés sans s’exposer à avoir à payer les loyers dus jusqu’à la prochaine échéance triennale ou l’acceptation de son départ par le bailleur.

La position de la Cour d'Appel désavouée par la Cour de Cassation

Pour la Cour d’appel, le preneur ne pouvait se prévaloir d’une clause résolutoire stipulée qu’au bénéfice du bailleur, ni se prévaloir de son propre comportement (le non respect de l’échéancier) pour prendre acte de la résiliation du bail par exécution de l’ordonnance rendue.

De surcroît, pour la Cour d’appel, le fait que le bailleur ait fait signifier l’ordonnance ne pouvait l’empêcher de choisir de poursuivre ou non son exécution et donc de renoncer au bénéfice de l’acquisition de la clause résolutoire.

Elle a ainsi suivi la position du bailleur et a donc condamné le preneur au paiement des loyers jusqu’au 1er juillet 2018, date à laquelle le bailleur avait accepté la résiliation unilatérale du bail par le preneur.

D’un avis contraire, la Cour de Cassation suivant l’argumentation du preneur a cassé l’arrêt de la cour d’appel

 Pour la Cour de Cassation, le Preneur qui ne respecte pas l’échéancier, peut se prévaloir de la résolution du bail qui en découle 

Dans son pourvoi, le preneur soutenait que, dès lors qu’il n’avait pas respecté l’échéancier fixé par une ordonnance revêtue de la force de chose jugée, l’acquisition de la clause résolutoire avait irrévocablement mis fin au bail, rendant impossible pour le bailleur de lui imposer la poursuite de son exécution forcée, et ce, sans qu’il importe que la clause résolutoire n’était stipulée qu’au bénéfice du bailleur (« si bon semble au bailleur »)

Pour la Cour de Cassation, dès lors que l’ordonnance de référé était passée  en force de la chose jugée, et en absence d’une décision contraire au fond, le bailleur ne pouvait plus, en cas de non respect par le preneur des délais de paiement conditionnant la suspension des effets de la clause, demander unilatéralement  l’exécution du bail

Cet arrêt consacre la possibilité pour le preneur mauvais payeur de s’auto dégager d'un bail devenu trop cher en ne respectant pas l’échéancier fixé par le juge. En cette période de baisse des loyers locatifs, ce pourrait permettre aux preneurs d’imposer aux bailleurs une baisse de loyer sans attendre l’arrivée de la prochaine échéance triennale

 Delphine BERTHELOT-EIFFEL - Avocat Paris- Droit immobilier -