Indivision : ce que un indivisaire peut décider seul, à plusieurs ou à l'unanimité
Posséder un bien immobilier en indivision est une situation courante, par effet des successions, mais aussi du choix de nombreux couples d'acquérir en commun.
Source importante de mésententes et de contentieux, l’indivision est vue comme un pis-aller destiné à prendre fin. Le premier article de loi consacré à l’indivision dispose ainsi en préambule de l’organisation de celle-ci que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision »
L’indivision peut en effet vite tourner au cauchemar du fait de la juxtaposition des droits égaux et concurrents dont dispose chaque indivisaire sur le bien
Des droits égaux et concurrents
Tant que l’indivision existe, chaque indivisaire n’est pas propriétaire d’une partie identifiée de l’immeuble commun mais du bien dans son entier à proportion de sa quote-part. Chaque indivisaire dispose ainsi de l’ensemble des droits inhérents à la propriété immobilière que sont les droits de jouissance, d’administration et de disposition.
Chaque indivisaire dispose donc du d'user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, "dans la mesure compatible avec les droits des autres indivisaires" (article 815-9) et tout indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices (article 815-11)
On comprend dès lors la nécessité d'organiser l'exercice de ces droits concurrents dans le respect de chaque indivisaire
A cet effet, l’article 815-1 privilégie le contrat en permettant aux indivisaires de passer des conventions relatives à l’exercice de leurs droits indivis conformément articles 1873-1 à 1873-18 du Code Civil.
A défaut, les indivisaires n'ont pas d'autres choix que de se référer aux règles de fonctionnement des indivisions fixées par les articles 815-2 et 815-3 du Code Civil lesquels précisent ce que les indivisaires peuvent faire seuls, sans l’accord des autres et ce qu'ils peuvent décider, dès lors qu’ils détiennent, seul ou à plusieurs, au moins deux-tiers des droits indivis, renvoyant tout le reste à l'unanimité.
En outre, l'indivision étant un terrain de bataille particulièrement propice à l'expression de désaccords familiaux souvent recuits, les articles 815-4 à 815-7 du Code Civil prévoient les conditions de recours au juge, auquel il est donné pouvoir d'ordonner ou d'autoriser certains actes afin d'éviter les blocages.
La conservation du bien indivis : entre les mains de chaque indivisaire
Aux termes de l'article 815-2 du Code Civil, chaque indivisaire peut faire seul les actes nécessaires à la conservation des biens indivis, quel que soit la quote-part dont il dispose et ce, y compris, en absence d’urgence. Pour cela, l’indivisaire peut employer les fonds de l’indivision détenus par lui et, à défaut, obliger ses coïndivisaires à faire avec lui les dépenses nécessaires ou à rembourser les frais exposés
Selon la jurisprudence, constituent des actes conservatoires pouvant valablement être engagés par chaque indivisaire, quelque soit la quote-part dont il dispose, tant vis-à-vis de ses coindivisaires que des tiers :
- la revendication de la propriété indivise d’une parcelle (Cass civ 19 juin 2019 n°18-16.534),
- l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre (Cass civ 23 septembre 2015 n°14-19.098)
- la délivrance d’un commandement de quitter les lieux en exécution d’un jugement d’expulsion (Cass civ 16 novembre 2017 n°16-173)
- la délivrance d'un commandement de payer des loyers visant la clause résolutoire (Cass Civ 9 juillet 2014 n°13-21.463).
- la déclaration d’une créance de l’indivision à l’encontre d’un débiteur (Cass civ 14 mars 2012 n° 10-10.006)
- l’action tendant à faire cesser une voie de fait sur un terrain indivis et à sa remise en état (Cass civ Chambre 3 7 avril 1994 n°92-14.148)
- l’action visant à la liquidation d’une astreinte (Cass 28 mai 2020 n° 19-14.156)
- la souscription d’une assurance multirisque et le paiement des primes
- le paiement des charges de copropriété
- le paiement des taxes foncières ou d’habitation
- le renouvellement d’un hypothèques afin d’éviter l’exigibilité anticipée d’un prêt
L'administration du bien indivis : aux mains des indivisaires majoritaires
L’article 815-3 dispose que "le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :
1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ;
2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ;
3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ;
4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers.
Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°.
Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux.
Cet article né de la réforme du 23 juin 2006, traduit la volonté du législateur de faciliter la gestion des biens indivis et d’éviter qu’un indivisaire très minoritaire puisse bloquer toute décision. Il n’en recèle pas moins des occasions de litiges sans fin, notamment, par exemple, lorsqu’un indivisaire mécontent conteste l’existence du mandat tacite prévu au dernier alinéa ci-dessus, qu’il réfute que l’acte décidé par ses coindivisaires ait été un acte d’administration, voire qu’il considère que l’acte passé « ne ressortit pas à l’exploitation normale » du bien indivis.
Surtout, cet article n’écarte la règle de l’unanimité que pour autant que les indivisaires d'accord entre eux détiennent ensemble au moins 2/3 des quotes-parts indivises et uniquement pour les actes strictement énumérés aux 1° à 4° ci-dessus.
L’accord des indivisaires détenant au moins les 2/3 des quotes-parts indivises est donc suffisant uniquement pour les actes d’administration que, sont, à titre d’exemple :
-la participation et le vote à une assemblée générale des copropriétaires (sauf pour autoriser un acte de disposition)
-la délivrance d’un commandement de payer
-le congé d’un bail d’habitation pour juste motif ou pour habiter
-la signature d’un bail d’habitation
Attention : au regard du dernier alinéa de l'article 145-3, sauf à posséder à lui seul les deux-tiers au moins des quotes-parts indivises, aucun indivisaire ne peut signer seul un bail d’habitation, fusse-t-il au su des autres indivisaires et en se prévalant d’un mandat tacite de leur part.
Il ne peut en effet en être autrement qu’entre époux, par application de l’article 1425 du Code civil aux termes duquel chaque époux peut concéder seul un bail d’habitation portant sur un bien commun.
Autrement dit, et sauf entre époux, quand bien même la signature d’un bail d’habitation consenti à des conditions normales est considéré comme constituant un acte d’administration, aucun indivisaire ne peut valablement signer un tel bail, sans mandat exprès de ses coindivisaires détenant, avec lui, au moins 2/3 des quotes-parts indivises
La disposition du bien indivis : l'unanimité toujours requise
Aucun acte de disposition sur les immeubles n’est possible en absence d’unanimité.
Impossible sans unanimité de vendre un immeuble, même pour payer les dettes de l’indivision, l’exception de l’article 815-3 3° n’étant envisagée que pour les biens meubles
A l'exception des actes relevant de l’article 815-3 3°, ni le mandataire désigné avec l’accord des indivisaires détenant au moins 2/3 des quotes-parts indivises, ni a fortiori l’indivisaires disposant du mandat tacite de ses coindivisaires ne peut valablement conclure un acte de disposition.
Or la signature d'un bail commercial constitue un acte de disposition.
Ainsi le mandataire disposant d’un mandat général d’administration ne pourra pas valablement signer un bail portant sur un immeuble à usage commercial, industriel ou agricole, ni bien entendu procéder au renouvellement de tels baux.
Ces baux doivent être signés avec l'accord de tous les indivisaires, sans exception.
En outre, si les indivisaires peuvent donner un mandat spécial pour être représentés à la signature d'un tel bail, un mandat général ne peut pas suffire.
Un gestionnaire ne peut donc signer un bail commercial au nom des indivisaires, tous désignés à l’acte, que s’il dispose d’un accord unanime des indivisaires et d'un mandat écrit et spécial de le signer en leur nom (Cass civ 2 décembre 2015 n° 14-17.211)
L’unanimité reste donc nécessaire pour :
- la signature d’un acte de vente, d’une promesse de vente ou d’un compromis de vente ou encore d’un acte d’apport
- la signature d’un mandat de vente auprès d’une agence immobilière
- l’acceptation d’une notification mettant en œuvre une condition résolutoire contenue à un acte de vente (Cass 23 mai 1995 n° 93-10/617)
- la conclusion d’un emprunt
- la conclusion ou le renouvellement d’un bail portant sur un immeuble à usage commercial, agricole ou industriel
- la délivrance d’un congé avec offre de renouvellement d’un bail commercial (Cass 19 janvier 2011 n° 09-10.276)
- la délivrance d’un congé pour vendre au titulaire d’un bail d’habitation
Si cette règle de l’unanimité devrait dissuader les plus courageux de tester l’indivision ou d’y rester, les règles relatives aux comptes entre les indivisaires telles que posées par les articles 815-12 et 815-13 devraient achever de les décourager, tant elles sont sources d’âpres conflits.
En effet, selon l’article 815-12 « l’indivisaire qui gère un ou plusieurs biens indivis est redevable des produits nets de sa gestion. Il a droit à la rémunération de son activité dans les conditions fixées à l’amiable ou à défaut, par décision de justice »
L’article 815-13 ajoute que « lorsqu’un indivisaire a amélioré, à ses frais, l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte, selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a fait de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés.
En indivision il est déconseillé d'agir sans connaitre ses droits et obligations, être conseillé est nécessaire
N'hésitez pas
Delphine Berthelot-Eiffel, avocat